Bilan loi formation professionnelle : distorsion entre le réel et le prescrit

06 Oct 2021

Outre la création du Compte Personnel de Formation (CPF), la loi du 5 mars 2014 a notamment introduit l’obligation pour l’employeur de faire un suivi du développement des compétences de chacun de ses salariés sous forme d’un état des lieux récapitulatif présenté tous les 6 ans. Cet exercice doit s’appuyer, dans les faits, sur les entretiens professionnels réalisés tous les 2 ans et portant uniquement sur les perspectives d’évolution et de formation professionnelle, l’évaluation du travail étant traitée dans le cadre de l’entretien annuel d’évaluation. Ce bilan professionnel vise à vérifier, dans la version de la loi de 2014, que sur les 6 ans passés, chaque salarié a bénéficié a minima d’au moins deux des trois mesures suivantes : suivi d’une action de formation non obligatoire au sens du CT art L6321-2, participation au dispositif de validation des acquis de l’expérience (VAE) et obtention d’une progression salariale ou professionnelle.

Toute la formation bouleversée

La loi Avenir Professionnel d’août 2018 est venue alléger les contraintes pesant sur l’employeur. Désormais, seule l’obligation d’avoir fait bénéficier le salarié d’une action de formation à caractère non obligatoire en 6 ans demeure. Cette formation peut avoir été suivie selon des modalités très variées et étendues : mode présentiel, mode hybride, classe virtuelle, e-learning, formation en situation de travail (FEST)… La loi instituant l’obligation du bilan professionnel ayant été publiée en 2014, les entreprises devaient donc avoir réalisé les premiers bilans professionnels à six ans en 2020. Compte tenu de la crise sanitaire liée à la Covid-19, le délai a été repoussé au 30 juin 2021. En cas de non-respect de ses obligations, l’employeur encourt des sanctions : dans les entreprises d’au moins 50 salariés, il devra abonder le CPF du salarié d’un montant de 3000 euros maximum.

Quels constats à date ?

1/ Un manque notable d’anticipation révélateur d’un manque de gestion prospective des parcours professionnels

Établir un récapitulatif du parcours de formation sur 6 ans d’un salarié nécessite une forme d’anticipation et une rigueur administrative forte. Or, dans un contexte législatif en mouvance constante, cela peut paraitre compliqué, notamment lorsqu’une crise sanitaire s’invite au rendez-vous ! Il est également plus complexe de retracer les actions de formation suivies dans la mesure où la définition même de la formation s’est considérablement élargie notamment avec l’apparition des FEST. Cette problématique se conjugue également avec les difficultés rencontrées pour les employeurs de réaliser un entretien professionnel tous les deux ans car :

  • dans les petites entreprises cela se fait sous forme informelle, sans suivi ;
  • tandis que dans les grandes entreprises ce sujet n’est généralement pas isolé, il est noyé dans des entretiens plus globaux ne permettant pas de recenser précisément les informations stricto sensu relatives au parcours de formation suivi.
Axes d’amélioration possibles : Normer les entretiens professionnels servant d’appui au bilan à 6 ans via la réalisation d’une convocation formelle et d’un support écrit et signé par les parties prenantes concernées : salarié, manager, service RH. Centraliser et exploiter les données relatives aux salariés non formés pour cibler annuellement « les urgences », sans exclure les managers et directeurs du dispositif.S’emparer des nouvelles modalités de formation, notamment la FEST et les formations en distanciel en fixant un cadre formel et rigoureux pour assurer leur suivi (temps réel de formation, conditions d’exécution de la formation, limites entre la situation d’apprentissage et le travail réel pour la FEST, …).

2/ Des outils RH de suivi peu performants

Outre les problématiques d’anticipation, les entreprises font face à des difficultés de mise en œuvre compte tenu de diverses carences relatives aux moyens mobilisés. En effet, les outils utilisés dans le cadre de la réalisation du bilan de la formation à 6 ans sont peu performants et ne permettent que très rarement une centralisation des données. Le déploiement du numérique dans les organisations a conduit de nombreuses entreprises à passer dans une logique de gestion digitale des effectifs via un système d’information de gestion des ressources humaines (SIRH) qui ne permet pas, en général, d’obtenir un suivi fiable puisqu’il ne reprend pas l’historique basé sur papier ou sur des matrices Excel. De plus, ces outils ne permettent généralement pas d’assurer le suivi du développement des compétences du salarié dans le cadre de mobilités intra-groupe.

Axes d’amélioration possibles : Uniformiser les outils de recensement des données et assurer une reprise de l’historique lors d’un changement d’outil.Intégrer systématiquement dans les SIRH une plateforme incluant les données quantitatives (statistiques) et qualitatives (entretiens professionnels) relatives à la formation professionnelle.Mettre en œuvre un « passeport salarié » récapitulant les évolutions professionnelles et les formations suivies pour favoriser le suivi des informations notamment dans le cadre de mobilités.

Enfin, afin d’assurer la réalisation du bilan à 6 ans de manière efficiente, il convient de préconiser la mise en place d’une commission de formation paritaire dès 50 salariés et disposant de moyens réels pour permettre d’asseoir le dispositif comme un élément clé de la politique RH des organisations plutôt que de l’inscrire uniquement dans une lutte contre la sanction, aussi minime soit-elle… 

Chloé DAVIOT
Consultante chez Sextant Expertise
Doctorante en sciences de gestion et du management – IAE ISM – Laboratoire LAREQUOI

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